20131128


À mon tour de vous demander : vous ne croyez pas vraiment à la fin du monde ?
Non, évidemment. Le monde n’aura pas de fin. Du moins pas la fin qu’on attend ici. Qu’une catastrophe détruise notre planète, je ne dis pas...
Notre paysan le plus fruste ne croit pas à cette fin-là, épisodique et accidentelle. Son univers n’admet pas l’accident. Il est plus rassurant que le vôtre, malgré les apparences.
Peut-être bien. Malheureusement pour nous, c’est mon univers qui est vrai. La terre n’est pas plate. Elle n’a pas de versants qui donnent sur l’abîme. Le soleil n’est pas un lampadaire fixé sur un dais de porcelaine bleue. L’univers que la science a révélé à l’Occident est moins immédiatement humain, mais avouez qu’il est plus solide...
Votre science vous a révélé un monde rond et parfait, au mouvement infini. Elle l’a reconquis sur le chaos. Mais je crois que, ainsi, elle vous a ouvert au désespoir.
Non pas, elle nous a libérés de craintes... puériles et absurdes.
Absurdes ? L’absurde, c’est le monde qui ne finit pas. Quand saurait-on la vérité ? toute la vérité ? Pour nous, nous croyons encore à l’avènement de la vérité. Nous l’espérons.
« C’est donc cela, pensa Lacroix. La vérité qu’ils n’ont pas maintenant, qu’ils sont incapables de conquérir, ils l’espèrent pour la fin. Ainsi, pour la justice aussi. Tout ce qu’ils veulent et qu’ils n’ont pas, au lieu de chercher à le conquérir, ils l’attendent à la fin. » Il n’exprima pas sa pensée. Il dit simplement :
Quant à nous, chaque jour, nous conquérons un peu plus de vérité, grâce à la science. Nous n’attendons pas...
« J’étais sûr qu’il n’aurait pas compris, songea le chevalier. Ils sont tellement fascinés par le rendement de l’outil qu’ils en ont perdu l’immensité infinie du chantier. Ilsne voient pas que la vérité qu’ils découvrent chaque jour est chaque jour plus étriquée. Un peu de vérité chaque jour... bien sûr, il le faut, c’est nécessaire. Mais la Vérité ? Pour avoir ceci, faut-il renoncer à cela ? »

(Cheikh Hamidou Kane, L'aventure ambiguë)










-Yo estoy en el suelo -dijo Ronald- y nada cómodo para decirte la verdad. Escuchá, Horacio: negar esta realidad no tiene sentido. Está aquí, la estamos compartiendo. La noche transcurre para los dos, afuera está lloviendo para los dos. Qué sé yo lo que es la noche, el tiempo y la lluvia, pero están ahí y fuera de mí, son cosas que me pasan, no hay nada que hacerle.
-Pero claro -dijo Oliveira-. Nadie lo niega, che. Lo que no entendemos es por qué eso tiene que suceder así, por qué nosotros estamos aquí y afuera está lloviendo. Lo absurdo no son las cosas, lo absurdo es que las cosas estén ahí y las sintamos como absurdas. A mí se me escapa la relación que hay entre yo y esto que me está pasando en este momento. No te niego que me está pasando. Vaya si me pasa. Y eso es lo absurdo.
-No está muy claro -dijo Etienne.
-No puede estar claro, si lo estuviera sería falso, sería científicamente verdadero quizá, pero falso como absoluto. La claridad es una exigencia intelectual y nada más. Ojalá pudiéramos saber claro, entender claro al margen de la ciencia y la razón. Y cuando digo "ojalá", andá a saber si no estoy diciendo una idiotez. Probablemente la única áncora de salvación sea la ciencia, el uranio 235, esas cosas. Pero además hay que vivir.

(Júlio Cortazar, Rayuela)

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