— À
mon tour de vous demander : vous ne croyez pas vraiment à la fin du
monde ?
— Non,
évidemment. Le monde n’aura pas de fin. Du moins pas la fin qu’on
attend ici. Qu’une catastrophe détruise notre planète, je ne dis
pas...
— Notre
paysan le plus fruste ne croit pas à cette fin-là, épisodique et
accidentelle. Son univers n’admet pas l’accident. Il est plus
rassurant que le vôtre, malgré les apparences.
— Peut-être
bien. Malheureusement pour nous, c’est mon univers qui est vrai. La
terre n’est pas plate. Elle n’a pas de versants qui donnent sur
l’abîme. Le soleil n’est pas un lampadaire fixé sur un dais de
porcelaine bleue. L’univers que la science a révélé à
l’Occident est moins immédiatement humain, mais avouez qu’il est
plus solide...
— Votre
science vous a révélé un monde rond et parfait, au mouvement
infini. Elle l’a reconquis sur le chaos. Mais je crois que, ainsi,
elle vous a ouvert au désespoir.
— Non
pas, elle nous a libérés de craintes... puériles et absurdes.
— Absurdes
? L’absurde, c’est le monde qui ne finit pas. Quand saurait-on la
vérité ? toute la vérité ? Pour nous, nous croyons encore à
l’avènement de la vérité. Nous l’espérons.
«
C’est donc cela, pensa Lacroix. La vérité qu’ils n’ont pas
maintenant, qu’ils sont incapables de conquérir, ils l’espèrent
pour la fin. Ainsi, pour la justice aussi. Tout ce qu’ils veulent
et qu’ils n’ont pas, au lieu de chercher à le conquérir, ils
l’attendent à la fin. » Il n’exprima pas sa pensée. Il dit
simplement :
— Quant
à nous, chaque jour, nous conquérons un peu plus de vérité, grâce
à la science. Nous n’attendons pas...
«
J’étais sûr qu’il n’aurait pas compris, songea le chevalier.
Ils sont tellement fascinés par le rendement de l’outil qu’ils
en ont perdu l’immensité infinie du chantier. Ilsne voient pas que
la vérité qu’ils découvrent chaque jour est chaque jour plus
étriquée. Un peu de vérité chaque jour... bien sûr, il le faut,
c’est nécessaire. Mais la Vérité ? Pour avoir ceci, faut-il
renoncer à cela ? »
(Cheikh
Hamidou Kane, L'aventure ambiguë)
-Yo estoy
en el suelo -dijo Ronald- y nada cómodo para decirte la verdad.
Escuchá, Horacio: negar esta realidad no tiene sentido. Está aquí,
la estamos compartiendo. La noche transcurre para los dos, afuera
está lloviendo para los dos. Qué sé yo lo que es la noche, el
tiempo y la lluvia, pero están ahí y fuera de mí, son cosas que me
pasan, no hay nada que hacerle.
-Pero
claro -dijo Oliveira-. Nadie lo niega, che. Lo que no entendemos es
por qué eso tiene que suceder así, por qué nosotros estamos aquí
y afuera está lloviendo. Lo absurdo no son las cosas, lo absurdo es
que las cosas estén ahí y las sintamos como absurdas. A mí se me
escapa la relación que hay entre yo y esto que me está pasando en
este momento. No te niego que me está pasando. Vaya si me pasa. Y
eso es lo absurdo.
-No
está muy claro -dijo Etienne.
-No
puede estar claro, si lo estuviera sería falso, sería
científicamente verdadero quizá, pero falso como absoluto. La
claridad es una exigencia intelectual y nada más. Ojalá pudiéramos
saber claro, entender claro al margen de la ciencia y la razón. Y
cuando digo "ojalá", andá a saber si no estoy diciendo
una idiotez. Probablemente la única áncora de salvación sea la
ciencia, el uranio 235, esas cosas. Pero además hay que vivir.
(Júlio
Cortazar, Rayuela)